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tiennent qu’un petit nombre de feuillets. Cela est vrai, mais le souci de l’art, le goût du style, se retrouvent jusque dans le plus fugitif de ses articles, jusque dans la plus brève de ses lettres. Il aimait les mots pour eux-mêmes, composait des phrases pour le seul plaisir de leur sonorité. Sa sensibilité littéraire était très vive. Il a beaucoup de peine à pardonner à Balzac, qu’il admire passionnément, la maladresse de son style, et la beauté de la forme le rend indulgent pour des idées qui, exprimées en mauvais langage, le mettraient en colère. Ensuite, c’est un imaginatif plutôt qu’un observateur. Il aime les anecdotes véritables, mais il les arrange à sa façon, les complique, les grandit. Quand il regarde la vie le plus attentivement, il y voit des choses visibles pour lui seul, c’est-à-dire qu’au moment même où il croit observer il imagine. La réalité n’est pour lui qu’un prétexte, un point de départ. C’est un poète. Barbey d’Aurevilly, comme romancier, est peut-être bien plus près de Théophile Gautier que de Balzac.

Il y a cependant en lui un réaliste. Ce côté de son caractère se révèle quand il décrit les paysages et les mœurs de sa terre natale, les environs de Valognes, en Normandie. Nul mieux que lui, ni