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Flaubert est un physicien : la vie lui est indifférente ; c’est une matière qu’il mesure et qu’il pèse. Le romancier vulgaire, qui foisonne, est purement anecdotique, même quand il amalgame à ses récits, en doses immodérées, la drogue morale, sociale ou humanitaire. La sociologie peut s’occuper à classer les actes humains selon leur bienfaisance ou leur nocuité ; la physique des mœurs expose avec froideur le résultat de ses observations et de ses calculs. Burbey d’Aurevilly manque de sang-froid ; la passion le trouble et fait un peu trembler ses mains ; mais il se raidit, respire, achève l’expérience. Sa faiblesse est d’en interpréter les résultats ; mais comme la religion où il se guide n’est pas optimiste, ses admonestations du moins ne sont pas vulgaires.

Il y a, en somme, deux sortes de romanciers, les prosateurs et les poètes. Je ne pense pas que l’on ait encore établi cette distinction ; elle est cependant capitale, pour qui veut comprendre quelque chose à l’évolution du roman depuis cent ans. Il est généralement admis que le plus grand romancier du dernier siècle, c’est Balzac. Oui, si l’on ne songe qu’aux écrivains qui furent uniquement des romanciers ; mais cela serait peut-être contestable,