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Lentement, avec de persévérantes précautions, les ecclésiastiques et les professeurs les écartent des bibliothèques, les cachent dans les armoires : bien en lumière, en pleine poussière, brillent la morale et la raison.

Mais il y a toujours un clan qui se rit de la morale et qui mésestime la raison. Ces méchants, qui nous conservèrent Martial et Pétrone, préfèrent aujourd’hui Baudelaire à Lamartine, d’Aurevilly à George Sand, Villiers à Daudet, Verlaine à M. Sully-Prudhomme. Cela fait qu’il y a deux littératures, l’une qui s’accommode aux tendances conservatrices, l’autre aux tendances destructrices de l’humanité. Et ainsi rien n’est jamais tout à fait conservé, ni tout à fait détruit ; chacun gagne à son tour à la loterie et cela fournit aux hommes cultivés d’éternels sujets de controverse.

Barbey d’Aurevilly n’est pas un de ces hommes qui s’imposent à l’admiration banale. Il est complexe et capricieux. Les uns le tiennent pour un écrivain chrétien, en font une sorte de Veuillot romantique ; d’autres dénoncent son immortalité et sa diabolique audace. Il y a de tout cela en lui : de là des contradictions qui ne furent pas seulement successives. On voit bien qu’il fut d’abord