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aisément que si Renan chercha avec soin toutes sortes de vérités particulières, il ne se mit jamais en peine de la grande, de la seule Vérité. Et s’il ne l’a pas cherchée, c’est qu’il ne l’aimait pas. Aimer la Vérité, nous dit M. Brunetière, c’est l’aimer comme Pascal, comme Bossuet, comme Pasteur et comme Taine. Toute autre méthode est mauvaise ; mais la plus mauvaise est de l’aimer comme Renan, c’est-à-dire en amateur, et non en passionné. Cela c’est tout simplement reprocher à un homme son tempérament, c’est lui faire un crime d’être calme, par exemple, quand tant d’autres sont emportés et fiévreux. La fièvre de Pascal n’est pas d’un heureux exemple. À quelle hauteur vertigineuse ne serait pas monté Pascal, si sa nervosité intellectuelle s’était tempérée d’un peu de scepticisme à la Renan ? L’étoffe, chez Renan, était bien inférieure à i’étoffe pascalienne ; mais il en a tiré un bien meilleur parti ; l’un, dans sa fièvre, déchirant son génie en lambaux, l’autre, dans son calme ironique, y trouvant la matière et le dessein des plus nobles tapisseries. Renan aima le vrai à sa manière, autant que Pascal ; car enfin, avouer que l’on ne peut affirmer est une altitude plus loyale que d’affirmer sans preuves. Or, quand on affirme, quand on proclame la