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c’est pourquoi je me permettrai d’examiner si elle existe réellement, si, par hasard, ces poètes normands ne seraient pas tout bonnement des poètes français, ni plus ni moins que Francis Jammes né à Orthez sous un nom de forme anglaise, ou le flamand Mæterlinck, ou le parisien François Coppée ?

Trois éléments concourent à la formation d’une littérature particulière, le sol, la race, la langue. Aux poètes normands d’aujourd’hui, l’un de ces éléments, la langue, fait presque toujours défaut, je dis presque toujours, et non toujours, parce qu’il y a deux ou trois exceptions remarquables. Reste donc le sol et la race. Cela suffira sans doute à différencier très nettement la sensibilité normande d’avec les sensibilités voisines, mais il lui manquera un instrument d’expression. Il serait absurde de dire que quiconque écrit en français pense en français ; le caractère, qui est basé sur la physiologie, ne se transforme pas aussi facilement que le langage ; la sensibilité est moins docile que la mémoire. Il est cependant certain que l’usage d’une langue tend à attirer celui qui la parle vers la nationalité dont cette langue est le signe le plus apparent. Quand cela se reproduit pendant de longues