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d’autres écrits de Renan, la souplesse solide de son écriture s’enroule merveilleusement à la solidité flexible de sa pensée. M. Brunetière parle de la « souveraine clarté » de sa langue, mais comment peut-il admirer une transparence, alors fâcheuse, qui n’a d’autre résultat que de faire mieux voir le trouble ou le néant du fond. Mais comment même peut-il se faire que l’eau soit pure et transparente quand le fond est bourbeux ? Les ondes ne sont claires que si elles s’appuient sur la fermeté d’un fond de roche. C’est une croyance des professeurs de littérature qu’il y a, en art, le fond et la forme, le vase et le contenu, et que, quand on possède le vase, on y peut mettre la liqueur que l’on veut. Contenu et contenant sont inséparables ; ils naissent ensemble et grandissent ensemble à peu près comme les veines et les artères et le sang qu’elles renferment. Le sang, hors de ses vaisseaux, et les vaisseaux vidés de leur sang, sont également des choses mortes. Il faut qu’un physiologiste connaisse l’anatomie ; mais rien ne serait plus dangereux pour lui, et pour ses clients, s’il était médecin, que de raisonner en anatomiste. L’analyse littéraire est une étude préalable ; il faut, quand on travaille sur le vif, réunir les éléments qu’elle dissociait, et se