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qui réfléchissent parfois sur leur métier. Brunetto veut donc que les accents du vers et en particulier ceux de la fin du vers correspondent entre eux selon un mode harmonique ; si l’on joint à cela le nombre et la rime, ou l’assonance, on a le schéma d’un vers parfait. Il est très probable qu’en dehors de ces principes le véritable vers français est impossible. Malgré ce qu’il a de curieux, le vers libre, essentiellement dénué de rythme fixe, ne semble pas destiné à jamais devenir un instrument de séduction. Cette forme de versification, trop lâche, ou peut-être trop compliquée, s’accorde mal avec les éléments d’une langue à prononciation infiniment variable, selon le ton, le genre, l’heure, le milieu. À cette variabilité des mots, il faut un cadre fixe ; il faut que l’oreille entende, même s’il n’est pas énoncé exactement, un nombre unique, toujours le même. C’est pourquoi, dans la crise actuelle de la prononciation française, le vers de douze syllabes, le vers qui a ou qui a l’air d’avoir douze syllabes, est à peu près le seul possible. Les poètes le sentent ; ils font peu de vers libres. Ceux qui ne suivent pas l’alexandrin verlainien inclinent, comme M. Stuart Merrill, vers un alexandrin élargi, plus riche en éléments de sonorité par le sacrifice des muettes para-