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Depuis qu’il est mort, je n’y tiens plus. Je vois très bien que le talent n’a de valeur que parce que le monde est enfantin. Si le public avait la tête assez forte, il se contenterait de la vérité. » Ainsi donc la tactique des adversaires de Renan, et des plus nobles, est toujours la même : pour étaler leur impartialité, ils admirent d’abord l’écrivain, quittes à ravaler ensuite, parmi les non-valeurs, l’historien et le philosophe.

Un tel partage, je l’avoue, m’est difficile. Je n’aime guère le style des écrivains dont je déteste la pensée. Le style est l’homme même. Une pensée fausse n’est jamais bien écrite, ni mal écrite une pensée juste. Il y a là quelque chose d’inséparable. J’irais volontiers jusqu’à négliger les vers qui ne contiennent pas quelque idée ou un sentiment vrai : c’est pourquoi il y a si peu de pages dans Victor Hugo qui me satisfassent pleinement. L’absurdité du thème d'Eviradnus m’empêche de me plaire à la musique de ce petit mélodrame. Le plus contestable, pour le fond, des ouvrages de Renan, la Vie de Jésus, est précisément celui qui est le moins bien écrit. L’incertitude de l’idée a fait vaciller le style ; cela tremblote comme une lampe d’église, une nuit que le vent souffle par un vitrail brisé. Dans beaucoup