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la nature et la méchanceté des hommes. Il monte sur le toit de sa maison et il invective l’horizon. Rien ne trouve grâce devant lui ; rien n’éveille sa sympathie : on croit entendre Ézéchiel.

Pour peindre les mœurs des grandes villes modernes, il emploie le même procédé. Quel tableau nous fait-il du paisible Bruxelles ! Tout lui est matière à étonnement. Quoi ! des chemins de fer, des tramways, des usines, des bars, des bazars, des filles dans les rues ! Quelles abominations ! Et il peint, à grands coups d’un pinceau trempé alternativement dans le noir et dans le rouge, ce tableau de décadence !

La sorte d’objectivité que je trouve en M. Verhaeren n’est pas celle que l’on a coutume d’observer. Elle ne consiste pas à faire abstraction de ses propres idées devant un spectacle réel et à le décrire avec exactitude, à la manière, par exemple, de M. Huysmans. M. Verhaeren procède à une opération préalable ; il envoie en avant ses sentiments, ses idées, il les mêle intimement aux choses qu’il va décrire : et c’est ce mélange qui forme le tableau singulier et énigmatique qu’il transpose dans ses vers. Ce qu’il voit, il le voit volontairement. Il n’accepte aucune surprise. Il est fermé à