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d’émotion sous un compliment délicat du maître. C’était une belle école de respect, que ce petit salon de la rue de Rome ; on y sentait le prix de la gloire, on apprenait à mettre son rayonnement au-dessus de toutes les autres distinctions humaines. Peut-être que ceux-là qui ont été les disciples de Mallarmé peuvent seuls comprendre le sens profond de ces mots qu’on lit dans la vie de tel philosophe grec : « C’était un disciple de Socrate. » Le respect que l’on éprouvait dans ce petit sanctuaire n’était pas superstitieux ; il était légitime, car les discours de Mallarmé étaient bien, comme le dit M. Moréas, « une claire source de plaisirs esthétiques ». Il ajoute qu’il a gardé de lui « une idée inexprimable ». C’est dommage qu’il ne veuille ou ne puisse l’exprimer. J’ai tenté de le faire à sa place.

Verlaine inspirait moins de respect ; plutôt de la curiosité. On le connaissait trop. On le rencontrait trop sur le boulevard Saint-Michel en compagnie équivoque. Il n’était pas rare de le voir ivre. Ceux qui aimaient ses vers le fuyaient et redoutaient d’entendre raconter sur lui de malsaines anecdotes. C’était moins un homme qu’un enfant vieilli. Il n’avait aucun empire sur lui-même, cueillant les sensations comme un écolier cueille