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génie, ni se passer de maîtres. Au contraire, avec une orgueilleuse modestie, il les a interrogés tous, les uns après les autres, et il a su profiter à tous les enseignements.

On appelle cela, vulgairement, se donner une forte culture littéraire. Cela n’est pas si commun qu’on le croit. La littérature française est immense, et bien rares sont ceux qui la connaissent tout entière, qui ont parcouru tous les chemins de cette vaste forêt. M. Moréas n’en ignore aucun détour. C’est peut-être le seul poète d’aujourd’hui qui ait lu tous les poètes français, ceux qui en valent la peine, depuis les balbutiements du xie siècle jusqu’aux balbutiements de la fin du xixe siècle. Mais lui, dès qu’il parla, ce fut sans balbutier. Il avait une trentaine d’années quand il publia ses premiers vers ; il se croyait vieux et il écrivait :

O mer immense, mer aux rumeurs monotones,
Tu berças doucement mes rêves printaniers ;
O mer immense, mer perfide aux mariniers,
Sois clémente aux douleurs sages de mes automnes.

Ces vers sont beaux parce qu’ils sont simples et purs. Voilà le fruit de la culture classique. Sans doute, tout n’était pas de ce ton-là dans les Syrtes, mais on a beau relire ce petit livre, on n’y trouve