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symbolistes avaient alors une si mauvaise réputation que Verlaine lui-même en pâtissait : aucun autre journal dans Paris n’aurait accueilli les vers de celui qui pourtant avait déjà publié Sagesse. C’est également la Cravache qui donna l’étude de M. Huysmans sur la Bièvre et la traduction, par M. Vielé-Griffin, des poèmes de Walt Whitman.

Je crois qu’il n’y a guère qu’en France où l’on voie de telles choses : dix écrivains et poètes de talent, dont l’un est Verlaine et l’autre Huysmans, auxquels tous les journaux sérieux sont fermés et aussi à peu près toutes les revues. En ce temps-là, pour pouvoir imprimer sa pensée avec liberté, il fallait fonder soi-même une petite revue. On se groupait, on recueillait quelque argent, et l’on cherchait un imprimeur. C’est ainsi, et non autrement, que naquit, il y a quatorze ans, jour pour jour, une revue, alors minuscule, le Mercure de France. Je me souviens que M. Arthur Symons, quand il commençait à fréquenter les jeunes écrivains français, avait beaucoup de peine à croire à la véracité de telles anecdotes : elles sont pourtant indiscutables. Les écrivains de ma génération qui sont arrivés à quelque chose ont réellement eu à lutter contre le monde entier. S’ils sont restés très