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évidente valeur ; presque tous seraient arrivés plus tôt à la renommée si le souvenir des excès de leur jeunesse ne leur avait barré la route de la gloire.

Je ne pense pas qu’à aucun moment de notre vaste et longue histoire littéraire il y ait jamais eu une telle poussée d’extravagance. Les romantiques eux-mêmes paraissent sages et débonnaires auprès des décadents. Même lorsque, lassés de ce surnom, ils voulurent être appelés symbolistes, que de fièvre encore et que d’insanités ! La cause ? On ne l’a encore jamais trouvée. Elle est certainement plutôt sociale que littéraire. Il faut sans doute la chercher dans ce développement de l’individualisme qui accompagna les premières années de la République. C’est la liberté politique, alors immense, qui engendra le goût de la liberté littéraire. Aujourd’hui que la liberté politique tend à se restreindre, la liberté littéraire suit la même marche ; les derniers jeunes écrivains sont presque tous socialistes et modérés, disciplinés et pratiques. Ils soutiennent le gouverment (ce qui est leur affaire) ; nous autres, il y a quinze ans, nous ne savions même pas qu’il y eût un gouvernement. On jouissait de la liberté d’écrire, de la liberté de vivre, de toutes les libertés