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Malgré la profonde influence que le romantisme a exercée sur l’esprit français, il est resté classique, ami de la mesure, de la règle, d’une simplicité digne. Il serait difficile de faire croire à ceux qui ont gardé quelque sens de la tradition et de la vérité historique, que la littérature française se résume tout entière en Victor Hugo, qu’il n’y avait rien avant lui et qu’il n’y aura rien après. La littérature française compte présentement neuf siècles d’existence ; elle a fait et refait plusieurs fois l’éducation de l’Europe : un homme, si grand qu’il soit, un Victor Hugo lui-même, ne tient que sa place dans un cycle aussi immense ; il ne remplit pas le cycle tout entier.

Une telle appréciation ne satisfera pas les dévots littéraires dont la manie est de ramener tout à Victor Hugo, d’en faire le centre, sinon du monde, du moins de la pensée française au dix-neuvième siècle. Ils ne sont pas loin, ces dévots, de considérer comme des malfaiteurs ceux qui gardent, en face du colosse, la pleine liberté de leur jugement. Mais le plus souvent, affligés dans leur piété, ils se bouchent les oreilles, pour ne pas entendre les blasphèmes ; ou bien ils feignent de ne pas avoir compris. Ici se place l’histoire des opinions de