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jusqu’à faire de George Sand le modèle des mères de famille, la « bonne dame » par excellence, une sorte de madone laïque ? Quant à Victor Hugo, il est convenu que tous ses contemporains l’ont admiré, l’ont adoré ; qu’il ne rencontra jamais un contradicteur, sinon dans la plus basse classe des politiciens ou des littérateurs ; qu’il fut un dieu, devant lequel les bons esprits du dix-neuvième siècle se trouvaient honorés d’être admis à agiter l’encensoir.

Le culte de Victor Hugo, cependant, s’il a existé réellement, pratiqué surtout par des parasites pieux, qui vivaient de cet autel, a toujours rencontré de nombreux contradicteurs. On peut admirer un homme et le tenir pour un grand poète, sans se croire tenu de tomber à genoux devant lui ou de se découvrir quand on prononce son nom, ainsi que faisaient les Espagnols autrefois quand ils nommaient Dieu ou le Roi. On n’aime pas beaucoup en France de telles exagérations ; on les juge de mauvais goût. Les thuriféraires de Victor Hugo l’auraient rendu ridicule, si cela était possible : le ridicule est retombé sur eux, et c’est au milieu d’un enthousiasme assez modéré qu’on a inauguré l’autre jour le musée, assez pauvre, que de braves gens ont voulu consacrer à sa mémoire.