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Jésuites et des Oratoriens), il prit l’habit de l’ordre et fut quelque temps professeur dans un de leurs collèges, à Toulouse. Que faire à Toulouse, en 1770, sinon écrire des vers et les présenter aux concours des Jeux Floraux ? Le jeune Doctrinaire n’y manqua point ; il rédigea des odes et des contes, sans oublier le traditionnel sonnet à la Vierge. Il fut couronné, reçut en grande pompe l’églantine d’or. Dans son ivresse, il résolut d’incorporer à son nom le souvenir de ce triomphe, et il signa désormais : Fabre d’Églantine. Qui aurait osé prédire à ce candide jeune homme une carrière orageuse et une fin tragique ?

Le succès littéraire, cependant, est malsain pour les hommes d’église ; très souvent, il les détourne de leur voie pieuse et les jette dans le siècle. Quelque belle fille acheva de le détacher d’un devoir obscur. Le professeur, un beau jour, a disparu. Ses supérieurs le cherchent : on le découvre à Beauvais ; il est devenu comédien. Il va de ville en ville, gagnant médiocrement sa vie, mais conquérant tous les cœurs. Les femmes qui lui résistent ont beaucoup de vertu, car il est fort séduisant. Mais la vertu était rare en France, au temps de Mme Du Barry. Les hasards de sa profession, ou peut-être l’ambi-