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« En ses secrets, elle doit puiser de merveilleuses agonies.

« Souvent dans ses yeux passent des désespoirs dont on ne saurait dire l’effroi.

« Sa vie, dans quels abîmes roule-t-elle, sa vie qu’elle creuse si profondément dans le roc de la solitude ? »

Telles sont les délices des grandes âmes indifférentes ; telles sont les joies terribles du détachement.

Elle ne fut donc pas heureuse, au sens vulgaire de ce mot déshonoré, mais surtout elle ne chercha pas le bonheur, elle ne le voulut pas. Un jour, pendant une traversée, elle se compara à un écueil[1] : « Le bonheur n’est pas donné aux écueils. Fatalement, la lumière se brise contre les écueils. Je suis comme un écueil. La lumière ne risque pas de m’approcher. Et si elle venait jusqu’à moi, il y a des ténèbres dans lesquelles tous les clairs rayons se dissolvent, qui absorbent toute lumière et ne la rendent jamais. » C’est un peu sibyllin, mais cela se comprend, dit par cette bouche orgueilleusement sincère. Elle est trop seule, trop différente pour

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