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est fort bien dit dans le vers célèbre (et pas assez, car il est des plus beaux) :

C’est moi qui te dois tout, puisque c’est moi qui t’aime.

Comme elle se joue de ce sentiment vulgaire, si symbolique de nos lâchetés sociales, la sympathie I Elle le revêt comme des gants fourrés contre le froid, comme un manteau contre la pluie : « Quand je me meus parmi les gens, je n’emploie à cela que la partie de moi-même qui m’est commune avec eux. Les gens s’étonnent de me trouver si semblable à eux, parce que je les interioge sur le temps qu’il fait ou sur le prix des brioches[1]. » Et ainsi, on l’aime pour ce qu’elle n’est pas. La communion s’est faite à travers les invincibles mailles d’une cuirasse d’acier : le dieu qui s’est donné reste intact. Et c’est le cas de rire longuement, car la comédie est bonne.

« Impératrice de l’âme, comme dit M. Christomanos, elle se vantait[2] de ne se laisser influencer par rien. » Illusion, mais de celles qui entretiennent dans un être humain le sens de la liberté et la confiance en soi. Ainsi les caprices mêmes sont justifiés et prennent, comme ceux de l’océan, un air de

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