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la peinture, la couture ou la musique. Lui, le grand travailleur, il connaissait la valeur éducatrice du travail, de la passion du travail. Ainsi encouragée, Judith Gautier entreprit à la fois d’écrire, de peindre, de sculpter, d’apprendre le chinois et la musique. Son père, alors qu’elle avait à peine quatorze ans, lui fit passer un article au Moniteur Universel. C’était un compte rendu de la traduction par Baudelaire de l’Euréka d’Edgar Poe. L’article donnait une analyse exacte et claire d’un sujet assez difficile à comprendre. Baudelaire fut surpris et, d’abord, incrédule. « Il a été prodigieusement étonné », disait Théophile Gautier. Convaincu enfin, il écrivit au jeune auteur une belle lettre où il disait : « Quand il ne m’a plus été permis de douter, j’ai éprouvé un sentiment difficile à exprimer, composé moitié de plaisir d’avoir été si bien compris, moitié de joie de voir qu’un de mes plus vieux et de mes plus chers amis avait une fille vraiment digne de lui. »

Ce mot de Baudelaire est de ceux qu’il fallait dire et que l’on doit répéter. La gloire de Judith Gautier, c’est que l’on puisse dire d’elle, sans nulle flatterie, qu’elle est vraiment, et en toutes choses, la digne fille de Théophile Gautier. Nul éloge, je