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quoi l’on connaît parmi nous l’homme véritable, celui qui est maître de soi-même.

Cette qualité, la domination de sa sensibilité, la femme française la possède à un haut degré. Sans doute, plus nerveuse que l’homme, plus soumise aux influences extérieures, elle se laisse aller parfois, en des circonstances dures, à des manifestations naïves ; mais cela est rare et vient souvent d’une mauvaise éducation. Jadis, en France, le dégoût de montrer sa douleur allait si loin qu’on payait aux enterrements des « pleureuses », chargées d’avouer en public une douleur que, soi, l’on cachait avec soin. L’admirable tombeau de Philippe Pot, au musée du Louvre, est porté par des cariatides, qui sont des « pleureuses ». J’ai encore vu des pleureuses en province : l’idée qu’elles représentent n’est plus très bien comprise ; elles disparaissent.

Être très sensible, et n’en rien laisser paraître : tel est l’idéal de la plupart des Françaises ; c’est celui de Mme Judith Gautier. Il n’est pas une page du second volume de ses Souvenirs[1] où l’on ne sente, comme un parfum, le profond amour qu’elle avait pour son père, le grand poète ; mais cet amour ne

  1. Le Second Rang du Collier (Juven, éditeur).