Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même qu’elle apprend les mœurs inconnues qu’elle songe à peindre : tout cela représente un travail immense.

Voilà donc une femme dont la vie d’imagination s’est passée tout entière en Asie ; ses études et beaucoup de ses lectures ont porté sur des littératures profondément différentes des nôtres ; ses relations sociales même se sont ressenties de ce goût si prononcé pour l’exotisme. Il est difficile d’aller chez Mme Judith Gautier sans y rencontrer quelque Japonais mal travesti par le costume européen ou deux ou trois brillants mandarins en robe nationale dont la tresse se balance sur leur dos, cependant qu’avec une politesse charmante ils s’inclinent. Son salon est une académie asiatique.

Voyez cependant la force de la race et de l’hérédité ; cette femme, toute nourrie d’exotisme, est un des meilleurs écrivains purement français d’aujourd’hui et celui, peut-être, qui, avec Henri de Régnier, use de la langue la plus franchement traditionnelle. Son style est parfait, d’une simplicité riche et spontanée, et chargée pourtant de toutes les nuances de la sensibilité féminine. Il dit tout ce qu’il veut dire, suggère les visions les plus précises, en même temps qu’il évoque toutes sortes de rêves