Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ennui. Si son verre n’était pas une petite merveille d’art, il mourrait de soif. Jean Dolent, qui n’aime pas le confortable, aime ce qui est beau. C’est un délicat, et un passionné qui cache sous un sourire la flamme de ses yeux.

C’est aussi un entêté, un de ceux qui ont, comme il le dit lui-même, « la touchante sottise d’espérer ». Il attend le règne de l’art, comme d’autres attendent le règne de Dieu. Lui, qui ne comprend la vie que comme une chose de beauté, comprend mal que les hommes s’obstinent à vivre parmi des laideurs qui sont inutiles. Peut-on écrire avec soin, manger avec plaisir sans avoir des fleurs, des roses sous les yeux ? Jean Dolent, s’il veut aussi des roses, les veut dans un beau vase de grès flammé, ou dans une « verrerie éphémère », mais héroïque,

Une verrerie éphémère
Dont le col ignoré s’interrompt…

Il met l’art avant la nature, ou du moins ne comprend pas la nature sans l’art qui la corrige, la refait, la recrée vraiment. Il dirait de la nature ce qu’il a dit de l’homme : « L’homme naît matière inerte, son âme est son œuvre : le créateur de l’homme, c’est l’homme. » Et cela serait plus vrai,