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rais assez aimé que les pensées rares fussent exprimées d’une façon rare, et non commune ; mais c’est beaucoup demander. M. Thiaudière, qui est souvent un penseur ingénieux, est rarement un écrivain original — définition exactement conforme à son idéal.

C’est même peut-être parce qu’il n’est pas très artiste, qu’il est pessimiste. Celui qui a le don du style ne fait à la vie d’autre reproche que d’être trop difficile à peindre ; mais il l’aime précisément à cause de la peine qu’il prend chaque jour pour la transposer dans son œuvre. Il ira parfois jusqu’à la détester ; il ne la méprisera jamais.

Il y a d’autres causes au pessimisme. C’est souvent une rancune ; c’est aussi une déception. Je pense que le pessimisme de M. Thiaudière est né d’une déception toute philosophique. La vie lui a donné moins qu’il n’avait demandé, et il en a éprouvé du chagrin. C’est un cœur trop tendre et une intelligence trop logique. Parti à la recherche du Juste et du Vrai, il est revenu les mains vides, l’estomac creux et les lèvres desséchées. Cherchez et vous trouverez : il a cherché et il n’a pas trouvé. Cela a suffi pour le troubler, rendre sa bouche amère et lui inspirer ce cri : « Malheureux, les esprits qui ont le mirage de l’absolu ! Ils prennent en dédain tout ce