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croît, mais il l’est nécessairement. De deux artistes, l’un qui fait un tableau pour gagner de l’argent, et l’autre qui peint « pour s’amuser », pour jouer, pour obéir à son génie, il y a tout à parier que c’est celui qui n’y pensait pas qui finira par « valoir le plus », comme disent les Américains. Le génie s’accompagne presque toujours d’une forte propension au jeu ; les grands hommes, en leurs moments de détente, se conduisent volontiers comme des enfants, et beaucoup ne sont que de grands enfants de génie. M. Renan aimait à jouer. Mais, homme d’église et de cabinet, il jouait silencieusement, pareil aux enfants de chœur qui se font, derrière l’autel, des niches muettes. Il lisait des romans. C’était sa passion secrète. Plus d’une fois, dit-on, Mme Renan dut confisquer le livre badin où l’auteur des Origines du Christianisme perdait son temps avec délices. « Monsieur Renan, lui disait-elle d’un ton sévère, je vous rendrai cette baliverne quand vous aurez fini votre article pour M. Buloz. » Et l’écrivain attristé reprenait le fil de ses idées sur Averroès ou sur l’origine du langage. Plus tard, ce besoin de jouer prit chez Renan une forme plus élevée. Au lieu de lire des romans, il en fit soi-même. Ayant choisi la forme du dialogue, il écrivit le Prêtre de Némî,