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ques curieux ont pu voir, avant sa mort, certains tableaux de Gustave Moreau. Il avait, dit-on, vendu sa série des Fables de La Fontaine, à condition qu’elle ne fût ni exposée, ni gravée, ni photographiée. Mais ceci est excessif et touche à l’excentricité. Le véritable artiste ne prend point tant de précautions. Ayant créé une œuvre pour sa propre satisfaction personnelle, il ne conteste à personne le droit d’en jouir à son tour. L’amateur aurait travaillé pour les autres, avant tout, et non pas pour soi. Telle est la différence.

Mérimée avait presque toutes les qualités qui font un excellent écrivain : de l’imagination et de la mesure, de l’audace et du goût, de la pénétration, l’art d’observer la vie sans en avoir l’air, mais il avait peu de style. Il écrit vraiment trop comme cela vient, avec trop de confiance dans les ressources naturelles de son esprit. Jamais à coup sûr, et ceci encore le différencie de l’artiste original, il ne se préoccupa de la forme dont il allait revêtir la matière qu’il venait de trouver. Pour lui, le sujet d’un conte était tout ; la manière de le mettre en œuvre, peu de chose. Aussi cherchait-il surtout des sujets étranges, comme cette Vénus d’Ille qui troubla jadis bien des sensibilités supers-