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ce qui domine dans ces premières notes, c’est l’ironie. Il se moque ou fait semblant de se moquer. Il est peut-être dupe, au fond, mais il ne veut pas le paraître, même à lui-même. A partir de ses fiançailles, ses idées changent ; c’est-à-dire elles se résolvent en sentiment. L’ironiste est devenu amoureux. Toute la partie des pensées intitulée Impressions se rapporte évidemment à cette période, quoique l’éditeur l’ait intercalée entre deux chapitres qui sont l’un et l’autre antérieurs. Ces Impressions ne sont plus des pensées « sur la femme », comme le dit un titre général. Avec l’impudeur des écrivains qui font de l’écriture avec tout ce qu’il y a de plus intime dans leur vie, c’est de sa femme à lui, que Laforgue nous entretient. Et c’est un hymne :

« Comme elle est pure, absolue, à part ! — Je l’aime comme la vie. J’oublierais la vie pour elle, ses mains dans les miennes… »

Il est vaincu, etil n’aura pas le temps de se reconquérir.

L’intelligence était d’une belle qualité dans Laforgue ; il se serait reconquis, si une longue vie lui avait été donnée. Son ironie serait allée très loin. Il y avait dans ce jeune homme de génie, l’étoffe, peut-être, d’un Jonathan Swift ; mais d’un Swift