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N’appartenir à aucune école, est-ce permis, même à un Shakespeare ? Shakespeare a continué d’abord le théâtre tel qu’il l’a trouvé. Ce fut le malheur de tels de nos contemporains, d’ailleurs bien doués, de n’être ni parnassiens, ni naturalistes, ni symbolistes. Cet isolement en a fait des épaves, qui flottent au hasard, tandis que le bateau qu’elles ont côtoyé un instant est depuis longtemps au port, où il se repose en attendant un nouvel équipage et une nouvelle traversée.

Si M. Jules Lemaître a méconnu, dans l’ordre littéraire, la nécessité des disciplines nettement consenties, il n’en a pas été de même dans l’ordre politique. C’est que peut-être sa véritable vocation était là. Allégé de toutes ses habitudes secondaires, le dilettante s’est enfin révélé ce qu’il était réellement : un excellent homme d’action, un apôtre social. Est-ce déchoir, quand on a été un brillant critique, un romancier excellent, un dramaturge heureux, de jouer le rôle, généralement humble, de journaliste politique ? On ne déchoit jamais, quand on exerce avec talent et autorité le métier que l’on a choisi, après en avoir pratiqué plusieurs autres. Au contraire, il semble que l’on se réalise enfin et que l’on trouve, quoique sur le tard, sa