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plus utile à la civilisation que l’anti-snob, que le critique qui, eau froide ou eau tiède, lance sur les enthousiasmes la douche de sa colère ou de sa blague. On ne veut pas dire que M. Jules Lemaître soit allé jusqu’à la blague ; mais il s’en est approché de bien près, et il n’a certainement échappé à la tentation de s’y jeter que grâce à la forte éducation classique qui avait formé son goût. Le jour qu’il la côtoya de plus près, ce fut quand il s’amusa, devant une galerie heureuse de tant de dextérité, à dépecer Georges Ohnet, alors le grand romancier de la bourgeoisie : mais là, le ton badin et narquois convenait merveilleusement à l’insignifiance du personnage littéraire ; le scalpel était un couteau à papier et la table d’anatomie, un tréteau d’escamoteur.

La littérature critique de M. Jules Lemaître a des mérites de clarté, de finesse, de bon sens ; on peut regretter qu’elle n’ait pas aussi, non pas des principes, dont elle se passe fort bien, mais une direction. Elle marche vraiment un peu à l’aventure. Il a manqué à cet écrivain spirituel d’avoir eu, ne fût-ce que pendant deux ou trois ans, une foi littéraire. C’est la plus heureuse des disciplines inlellectuelles. On apprend à juger pour d’autres mo-