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Nietzsche se fait du mariage non pas une idée, mais un idéal bien personnel. Il y a là un aveu d’une sincérité presque excessive : « …Le mariage conçu dans son idée la plus haute, comme l’union des âmes de deux êtres humains de sexe différent,… un tel mariage qui n’use de l’élément sensuel que comme d’un moyen rare, occasionnel, pour une fin supérieure… » Je ne puis citer tout : Nietzsche exprime à peu près cette idée qu’on ne peut aimer physiquement une femme que l’on estime intellectuellement. Cela, c’est l’immoralité parfaite, l’immoralité naïve d’un homme dont les sens sont muets, dont la sensibilité est toute cérébrale.

Par un dernier mot, il repousse même cette illusion d’un mariage purement métaphysique et contemplatif ; et c’est en songeant à lui-même, sans aucun doute, qu’il écrit : « Ainsi j’arrive, moi aussi, à ce principe dans ce qui touche aux hautes spéculations philosophiques : tous les gens mariés sont suspects. »

Ce qui est suspect, à la vérité, c’est l’opinion sur les femmes et sur l’amour d’un homme, fût-il un grand philosophe, qui ignore et l’amour et les femmes.

1904.