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TABLEAUX DE GUERRE



11 janvier 1915.


Je lis à la date du 22 juin 1869, dans le Journal des Goncourt : « Le général Bataille nous entretient de l’émotion au feu. Pas d’émotion une fois l’action engagée, mais avant, par exemple, aux premiers coups de fusil qui se tirent sur les lignes d’un camp, quand on est couché encore, alors un sentiment de compression à la poitrine, avec, au fond de soi, une sorte de tristesse. Il y aurait un bien curieux, un bien intéressant et un bien nouveau volume, à faire de fragments de récits militaires intitulé : La Guerre, où l’on ne serait que le sténographe intelligent de choses contées. » Ce passage de Jules Goncourt, qui allait mourir à l’aurore d’une guerre annonciatrice de celle-ci, montre bien la différence entre l’idée que l’on pouvait se faire alors d’une guerre et l’idée qu’on est forcé de s’en faire aujourd’hui. Un tel livre à l’heure présente serait bien différent de ce qu’il imaginait, et surtout la réalité y ajouterait des pages auxquelles il ne songeait pas, les pages de l’horreur.