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HIER ET DEMAIN



8 avril 1915.


Après huit mois d’interruption, le Mercure de France s’est décidé à reparaître. Ce n’est pas, je pense, qu’il prenne enfin, ou déjà, son parti de la guerre — durât-elle dix ans, il ne s’y habituerait pas, — mais quand on veut vivre, il faut vivre la vie telle qu’elle est. On ne lutte qu’un moment contre les vagues aussi fortes que celles où la tempête roule l’Europe et le monde. Il faut couler ou accepter le courant, où qu’il nous porte. Le Mercure était une revue plus attentive aux œuvres désintéressées de l’esprit qu’aux préparations guerrières : il se réveille guerrier. À peine si c’est un choix de sa volonté. Il est guerrier, parce que la France entière est guerrière et qu’il fait partie de la France. Il n’y a pas vraiment place aujourd’hui pour un autre sentiment : il était même inutile d’en tenter l’expérience. On n’eût pas trouvé, même dans les pays neutres, des rédacteurs assez dionysiaques pour sourire avec un dédain ivre parmi les ruines de la civilisation qu’un peuple arrogant (d’une arrogance