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Moi, je ne verrai plus, je serai morte, moi.
Je ne saurai plus rien de la douceur de vivre…
Mais ceux-là qui liront les pages de mon livre,
Sachant ce que mon âme et mes yeux ont été.
Vers son ombre riante et pleine de clarté.
Viendront, le cœur blessé de langueur et d’envie,
Car ma cendre sera plus chaude que leur vie…

Il y a, dans cet orgueilleux désir de se vouloir aimée, de se vouloir vivante au-delà de la mort, une nouvelle transposition du besoin d’éternité que les religions ont implanté en nous. Mais, malgré sa volonté de déposer dans son œuvre ses émotions brûlantes, la poétesse se rend compte qu’elle ne nous laisse, hélas ! que l’ombre de ses jours. C’est le titre, très significatif, d’un de ses recueils. Voici quelques pincées de cette cendre, encore chaude :

Les yeux, les yeux, ne plus se souvenir des yeux,
Les yeux qu’on a aimés, mauvais comme des pierres !…
Ces yeux profonds avec des flèches au milieu
Ah ! qu’ils ferment en nous leurs cils et leurs paupières.