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jours, la vie est beaucoup moins une réalité qu’une représentation. En d’autres termes, ceux-ci étant un peu trop philosophiques, la vie n’est autre chose que l’idée que nous en avons, et cette idée dépend du tempérament particulier à travers lequel nous ressentons et nous voyons les choses. C’est si vrai que la plupart des progrès matériels ne sont d’aucune utilité à la masse du peuple et que le peuple néanmoins les tient pour des bienfaits. C’est un pur effet d’imagination et quelque chose de plus, en effet, si je puis dire, de solidarité imaginative. Même, ceux qui pourraient ressentir directement ces bienfaits matériels, les subissent beaucoup plus qu’ils n’en jouissent. Il faudrait ici des développements que je ne puis faire. Qu’on pense, par exemple, aux automobiles, au téléphone, etc. Le bonheur n’a rien à voir avec tout cela. Le paysan du XIIe siècle qui ne vivait que de son pain, de son fromage, de sa bonne amie et de son salut, était dans des conditions de bonheur tout à fait équivalentes à celles qui sont offertes aux contemporains de l’aviation. Le tout est de toucher la limite et croire qu’elle est une limite.


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