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PRÉJUGÉS



On me rapportait ces jours derniers un mot bien amusant d’une Américaine qui demeure depuis une vingtaine d’années dans le quartier Montparnasse. Une Australienne, récemment débarquée, lui demandait, en minaudant : « Ne trouvez-vous pas comme à Paris toutes les choses sont inférieures ? » — « Je ne puis pas m’en rendre compte, répondit doucement l’Américaine, je n’arrive pas d’Australie. » N’est-ce pas très joli ? C’est pareillement la mode, pour certains provinciaux, de dénigrer ce Paris, où ils sont pourtant enrayés de venir. J’en ai connu un, plus excusable, car il ne le connaissait guère, qui s’imaginait de très bonne foi qu’à Paris on ne mange que le rebut de la province. Selon lui, tout y était factice, et il ne vous offrait pas une tranche de gigot sans ajouter : « Hein ! vous n’en avez pas comme cela à Paris ? » Les Parisiens qui vont l’été à la campagne entretiennent d’ailleurs ce préjugé en s’extasiant sur les délices des tables de province, qui sont