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muniqua l’esquisse d’une seconde planche dont je lui avais fourni le sujet : sainte Madeleine au désert apercevant dans l’eau où elle puise la figure de son amant divin. Je crois qu’il me comprit mal, car il m’apporta un Jésus en caleçon de bain qui faisait la planche. Je doutai soudain de son génie, mais je n’en allai pas moins visiter son atelier. Là, il me fit quelques confidences, m’apprit qu’il avait débuté dans la peinture par la décoration des boulangeries, où l’on voit une Cérès, des amours et des gerbes de blé. Est-ce à ce moment-là que je vis quelques uns des tableaux que sa mort a rendus célèbres ? Je ne le sais plus, mais je rapportai de cette visite une impression équivoque. L’homme était un grand naïf, mais sa peinture tout de même était curieuse. Naïf, Rousseau l’était moins que je ne l’avais cru et sa peinture devait trouver de francs admirateurs. Voilà une leçon pour ceux qui font profession de mépriser tout ce qui est nouveau et tout ce qui leur semble baroque. Et cela prouve aussi que la gloire est une loterie, qu’on ne sait rien, qu’il faut croire tout, qu’il faut douter de tout.


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