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nuit du monde, selon ces vers si souvent dits et redits :


La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Avant de mourir, Baudelaire avait lu les premiers vers de Mallarmé ; il s’en inquiéta ; les poètes n’aiment pas à laisser derrière eux un frère ou un fils ; ils se voudraient seuls et que leur génie pérît avec leur cerveau. Mais M. Mallarmé ne fut baudelairien que par filiation ; son originalité si précieuse s’affirma vite ; ses Proses, son Après-midi d’un Faune, ses Sonnets vinrent dire, à de trop loins intervalles, la merveilleuse subtilité de son génie patient, dédaigneux, impérieusement doux. Ayant tué volontairement en lui la spontanéité de l’être impressionnable, les dons de l’artiste remplacèrent peu à peu en lui les dons du poète ; il aima les mots pour leur sens possible plus que pour leur sens vrai