Page:Gourmont - Le Livre des masques, 1921.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puisqu’ils savaient le but de leur voyage et en quelle dernière auberge se trouvait le lit du repos. Quand, par la Science même, cette science élémentaire leur eut été enlevée, les uns se réjouirent, se croyant allégés d’un fardeau ; les autres se lamentèrent, sentant bien que par-dessus tous les autres fardeaux de leurs épaules on en avait jeté un, à lui tout seul plus lourd que le reste : le fardeau du Doute.

De cette sensation toute une littérature est née, littérature de douleur, de révolte contre le fardeau, de blasphèmes contre le Dieu muet. Mais, après la furie des cris et des interrogations, il y eut une rémittence, et ce fut la littérature de la tristesse, de l’inquiétude et de l’angoisse ; la révolte a été jugée inutile et puérile l’imprécation : assagie par de vaines batailles, l’humanité lentement se résigne à ne rien savoir, à ne rien comprendre, à ne rien craindre, à ne rien espérer, — que de très lointain.

Il y a une île quelque part dans les brouillards, et dans l’île il y a un château, et dans le château il y a une grande salle éclairée d’une petite lampe, et dans la grande salle il y a des gens qui attendent. Ils attendent quoi ? Ils ne