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devient un acte de démence. M. Nordau, qui a lu, avec une patience bizarre, toute la littérature contemporaine, propagea cette idée vilainement destructrice de tout individualisme intellectuel que le « non conformisme » est le crime capital pour un écrivain. Nous différons violemment d’avis. Le crime capital pour un écrivain c’est le conformisme, l’imitativité, la soumission aux règles et aux enseignements. L’œuvre d’un écrivain doit être non seulement le reflet, mais le reflet grossi de sa personnalité. La seule excuse qu’un homme ait d’écrire, c’est de s’écrire lui-même, de dévoiler aux autres la sorte de monde qui se mire en son miroir individuel ; sa seule excuse est d’être original ; il doit dire des choses non encore dites et les dire en une forme non encore formulée. Il doit se créer sa propre esthétique, — et nous devrons admettre autant d’esthétiques qu’il y a d’esprits originaux et les juger d’après ce qu’elles sont et non d’après ce qu’elles ne sont pas.

Admettons donc que le symbolisme, c’est, même excessive, même intempestive, même prétentieuse, l’expression de l’individualisme dans l’art.