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risé sous cette formule si simple et si claire : Le monde est ma représentation. Je ne vois pas ce qui est ; ce qui est, c’est ce que je vois. Autant d’hommes pensants, autant de mondes divers et peut-être différents. Cette doctrine, que Kant laissa en chemin pour se jeter au secours de la morale naufragée, est si belle et si souple qu’on la transpose sans en froisser la libre logique de la théorie à la pratique, même la plus exigeante, principe universel d’émancipation de tout homme capable de comprendre. Elle n’a pas révolutionné que l’esthétique, mais ici il n’est question que d’esthétique.

On donne encore dans des manuels une définition du beau ; on va plus loin : on donne les formules par quoi un artiste arrive à l’expression du beau. Il y a des instituts où l’on enseigne ces formules, qui ne sont que la moyenne et le résumé d’idées ou d’appréciations antérieures. En esthétique, les théories étant généralement obscures, on leur adjoint l’exemple, l’idéal parangon, le modèle à suivre. En ces instituts (et le monde civilisé n’est qu’un vaste Institut) toute nouveauté est tenue pour blasphématoire, et toute affirmation personnelle