Page:Gourmont - Le Livre des masques, 1921.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


paris nocturne


C’est la mer ; — calme plat. — Et la grande marée
Avec un grondement lointain s’est retirée…
Le flot va revenir se roulant dans son bruit.
Entendez-vous gratter les crabes de la nuit ?

C’est le Styx asséché : le chiffonnier Diogène,
La lanterne à la main, s’en vient avec sans-gêne.
Le long du ruisseau noir, les poètes pervers
Pèchent : leur crâne creux leur sert de boîte à vers.

C’est le champ : pour glaner les impures charpies
S’abat le vol tournant des hideuses harpies ;
Le lapin de gouttière, à l’affût des rongeurs,
Fuit les fils de Bondy, nocturnes vendangeurs.

C’est la mort : la police gît. — En haut l’amour
Fait sa sieste, en tétant la viande d’un bras lourd
Où le baiser éteint laisse sa plaque rouge.
L’heure est seule. Écoutez : pas un rêve ne bouge.

C’est la vie : écoutez, la source vive chante
L’éternelle chanson sur la tête gluante
D’un dieu marin tirant ses membres nus et verts
Sur le lit de la Morgue… et les yeux grands ouverts.


paris diurne


Vois aux cieux le grand rond de cuivre rouge luire,
Immense casserole où le bon Dieu fait cuire
La manne, l’arlequin, l’éternel plat du jour ;
C’est trempé de sueur et c’est trempé d’amour.