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décrits : ils établissent des portraits d’âmes, ne gardant de l’anatomie physique que la seule matérialité nécessaire à soutenir le jeu des couleurs. Un tel art, outre qu’il a l’inconvénient de répugner au peuple des lecteurs (qui veut qu’on lui conte des histoires et qui alors les demande au premier venu), est le signe d’une évidente et trop dédaigneuse absence de passion : or le dramaturge est un passionné, un amoureux fou de la vie, et de la vie présente, non des choses d’hier, des représentations mortes dont on retrouve les décors fanés dans les cercueils de plomb, mais des êtres d’aujourd’hui avec toutes leurs beautés et leurs laideurs animales, leurs âmes obscures, leur vrai sang qui va jaillir d’un cœur et pas d’une vessie gonflée, si on les poignarde au cinquième acte.

M. Georges Eekhoud est un dramaturge, un passionné, un buveur de vie et de sang.

Ses sympathies sont multiples et très diverses ; il aime tout, « Nourrissez-vous de tout ce qui a vie. » Obéissant à la parole biblique, il se fortifie à tous les repas que le monde lui offre ; il s’assimile la tendre ou la dure sauvagerie des paysans ou des marins avec autant de certitude