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l’imagination neutre d’une foule spectatrice pourra, avec le moindre effort, situer un combat mental dont les armes sont des accessoires de théâtre.

Un homme s’en va par le monde portant avec soi un coffre plein de terre natale et libre ; il porte son amour ; mais un jour il est écrasé par son amour. À l’heure de cette chute, un autre homme comprend : il éloigne de lui la femme qui va lui briser les bras. Aimer, c’est se charger d’un impérieux fardeau au moment même où, cessant d’être libre, on cesse d’être fort. La Motte de terre explique cela avec lucidité et avec force, travail d’un écrivain tout à fait maître de ses dons naturels et qui les manie avec aisance et cet air de domination qui dompte facilement les idées. Il arrive qu’une œuvre soit, et soit supérieure à l’homme et à son intelligence même, mais de peu ; si peu et mensonge innocent, c’est un spectacle humiliant et qui incite au mépris plus que l’aveu écrit de la médiocrité la plus hideuse et la plus adéquate au cerveau qui l’enfanta : l’homme de valeur est toujours supérieur à son œuvre, car son désir est trop vaste pour qu’il le remplisse jamais, et son amour