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est à la fois le Cyrano et le Molière, et cette galère ne lui sera pas volée.

L’originalité bien constatée, les autres mérites de M. Jules Renard sont la netteté, la précision, la verdeur ; ses tableaux de vie, parisienne ou champêtre, ont l’aspect de pointes sèches, parfois un peu décharnées, mais bien circonscrites, bien claires et vives. Certains morceaux, plus estompés et plus amples, sont des merveilles d’art ; ainsi Une Famille d’Arbres.

« C’est après avoir traversé une plaine brûlée du soleil que je les rencontre.

« Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent les champs incultes, sur une source comme des oiseaux seuls.

« De loin ils semblent impénétrables. Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent. Ils m’accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu’ils m’observent et se défient.

« Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu, et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s’écarter.

« Ils mettent longtemps à mourir, et ils gar-