bes la tendance actuelle des meilleurs esprits. Que j’aurais voulu, lors de la guerre en Grèce, qu’un voyageur m’eût parlé de la marchande d’herbes qui promène sa corbeille le long de la rue d’Éole, le matin ! Que pensait-elle ? Comment sa vie se mouvait, particulière, « unique », au milieu des rumeurs, voilà ce que j’aurais voulu savoir. Elle, ou un cordonnier, ou un colonel, ou un portefaix. J’attends cela aussi des explorateurs, mais aucun ne semble avoir jamais compris l’intérêt des vies individuelles coudoyées le long des fleuves : l’homme vit au milieu de décors qu’il n’a même pas la curiosité de frapper du doigt pour les savoir en bois, en toile ou en papier.
Cet art inconnu de différencier les existences est pratiqué par M. Schwob avec une sagacité vraiment aiguë. Sans user jamais du procédé (légitime aussi) de la déformation, il particularise très facilement un personnage d’allures même illusoires ; pour cela il lui suffit de choisir dans une série de faits illogiques ceux dont le groupement peut déterminer un caractère extérieur qui se superpose, sans le cacher, au caractère intérieur d’un homme. C’est la vie individuelle créée ou recréée par l’anecdote. Ainsi, que Lalande mangeât des araignées,