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Il y a dans cette figuration traditionnelle d’une idée abstraite une notion de l’origine même de cette idée. L’idée de justice n’est pas autre chose, en effet, que l’idée d’équilibre. La justice est le point mort de la série des actes, le point idéal où les forces contraires se neutralisent pour produire l’inertie. La vie qui aurait passé par ce point mort de la justice absolue ne pourrait plus vivre, puisque l’idée de vie, identique à l’idée de lutte de forces, est nécessairement l’idée de justice. Le règne de la justice ne pourrait être que le règne du silence et de la pétrification : les bouches se taisent, organes vains des cerveaux stupéfiés, et les gestes inachevés des membres n’écrivent plus rien, dans l’air froid. Les théologies situèrent la justice au delà du monde, dans l’éternité. C’est là seulement qu’elle peut être conçue et qu’elle peut, sans danger pour la vie, exercer une fois pour toutes sa tyrannie qui ne connaît qu’une seule sorte d’arrêts, l’arrêt de mort. L’idée de justice rentre donc bien dans la série des idées incontestables et indémontrables ; on n’en peut rien faire à l’état pur ; il faut l’associer à quelque élément de fait ou s’abstenir d’un mot qui ne correspond qu’à une inconcevable entité. A vrai dire, l’idée de justice est peut-être dissociée ici pour la pre-