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vraiment l’amour pur, puisqu’il ne correspond à rien de définissable, c’est l’intelligence s’adorant soi-même dans l’idée infinie qu’elle se fait d’elle-même. Ce qui peut s’y mêler de sensualisme tient à la disposition même du corps humain et à la loi de dépendance des organes ; on ne doit donc pas en tenir compte dans une étude qui n’est pas physiologique. Ce que l’on a appelé maladroitement l’amour platonique est aussi une création chrétienne. C’est, en somme, une amitié passionnée, aussi vive et aussi jalouse que l’amour physique, mais dégagée de l’idée de plaisir charnel, comme cette dernière idée s’était dégagée de l’idée de génération. Cet état idéal des affections humaines est la première étape de l’ascétisme, et l’on pourrait définir l’ascétisme l’état d’esprit où toutes les idées sont dissociées.

Avec la décroissance de l’influence chrétienne, la première étape de l’ascétisme est devenue un gîte de moins en moins fréquenté et l’ascétisme, devenu également rare, est souvent atteint par une autre voie. De notre temps, l’idée d’amour s’est rejointe très étroitement à l’idée de plaisir physique et les moralistes s’emploient à réformer son association primitive avec l’idée de génération. C’est une régression assez curieuse.