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Il y a des associations d’idées tellement durables qu’elles paraissent éternelles, tellement étroites qu’elles ressemblent à ces étoiles doubles que l’œil nu en vain cherche à dédoubler. On les appelle volontiers des « lieux communs ». Cette expression, débris d’un vieux terme de rhétorique, loci communes sermonis, a pris, surtout depuis les développements de l’individualisme intellectuel, un sens péjoratif qu’elle était loin de posséder à l’origine, et encore au dix-septième siècle. En même temps qu’elle s’avilissait, la signification du « lieu commun » s’est rétrécie jusqu’à devenir une variante de la banalité, du déjà vu, déjà entendu, et, pour la foule des esprits imprécis, le lieu commun est un des synonymes de cliché. Or le cliché porte sur les mots et le lieu commun sur les idées ; le cliché qualifie la forme ou la lettre, l’autre le fond ou l’esprit. Les confondre, c’est confondre la pensée avec l’expression de la pensée. Le cliché est immédiatement perceptible ; le lieu commun se dérobe très souvent sous une parure originale. Il n’y a pas beaucoup d’exemples, en aucune littérature, d’idées nouvelles exprimées en une forme nouvelle ; l’esprit le plus difficile doit se contenter le plus souvent de l’un ou de l’autre de ces plaisirs, trop heureux quand il n’est pas