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genre, ont innové ou inventé sont des imaginatifs autant que des observateurs. L’écrivain le plus pondéré, le plus réfléchi, le plus minutieux est à chaque instant, malgré lui, enrichi par le travail du subconscient ; il n’est pas d’œuvre, si volontaire, qui ne doive au subconscient quelque beauté ou quelque nouveauté. Jamais peut-être une phrase, la plus laborieuse, ne fut écrite ou dite en accord absolu avec la volonté ; la seule quête du mot dans le vaste et profond réservoir de la mémoire verbale est un acte qui échappe si bien à la volonté que, souvent, le mot qui venait s’enfuit au moment où la conscience allait l’apercevoir et le saisir. On sait combien il est difficile de trouver volontairement le mot dont on a besoin et on sait aussi avec quelle aisance et quelle rapidité tels écrivains évoquent, dans la fièvre de l’écriture, les mots les plus insolites, ou les plus beaux.

Il est cependant imprudent de dire : « La mémoire est toujours inconsciente ».[1] La mémoire est la piscine secrète où, à notre insu, le subconscient jette son filet ; mais la conscience y pêche aussi volontiers. Cet étang plein des poissons jadis captés au hasard par la sensation,

  1. Le Subconscient, p. 11.