Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/43

Cette page n’a pas encore été corrigée

rafraîchissements de paradis. C’est de la méchanceté que de comparer Fénelon, non pas même à Homère, mais à l’Homère de Leconte de Lisle. Les trop bonnes traductions, celles qu’on peut appeler de littéralité littéraire, ont en effet ce résultat inévitable de transformer en images concrètes et vivantes tout ce qui de l’original était passé à l’abstraction Λευκοδάχιων voulait-il dire qui a des bras blancs ou n’était-ce plus qu’une épithète épuisée ? Λευκακανθα donnait-il une image comme blanche épine ou une idée neutre comme aubépine, qui a perdu sa valeur représentative ? Nous n’en savons rien. Mais à juger des langues passées par les langues présentes, on doit supposer que la plus grande partie des épithètes homériques étaient déjà passées à l’abstraction au temps d’Homère[1]. Le plaisir que nous donne l’Iliade mise en bas-relief par Leconte de Lisle, les étrangers peuvent le trouver dans une œuvre aussi surannée pour nous que Télémaque : mille fleurs naissantes émaillaient les tapis verts n’est un cliché que lu pour la centième fois ; nouvelle, l’image serait ingénieuse et picturale. Traduits par Mallarmé, les poèmes d’Edgard Poe ac-

  1. Je suppose que l’on a cessé de croire que les poèmes homériques aient été composés au petit bonheur par une multitude de rapsodes de génie et qu’il a suffi de raboter leurs improvisations pour obtenir l’Iliade et l’Odyssée.