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l’opinion, avait été plus versé dans la linguistique, il eût invoqué sans doute la théorie des racines, ce qui donnait à ses sottises une apparence de force scientifique ; tel quel, le petit paragraphe du célèbre orateur serait très agréable à discuter. Il est bien évident que si suave et suaire évoquent des impressions généralement éloignées, cela ne tient pas à la qualité de leurs sons ; en anglais, il y a sweet et sweat, mots de prononciation identique. Doux n’est pas plus doux que toux, et les autres monosyllabes du même ton ; rugir est-il plus violent que rougir ou que vagir ? Léger est la contraction d’un mot latin, de cinq syllabes, leviarium ; si légère porte sa signification, mégère la porte-t-il aussi ? Pesant n’est ni plus ni moins lourd que pensant : les deux formes sont d’ailleurs des doublets dont l’unique original latin est pensare. Quant à lourd, c’est le mot luridus, qui voulut dire beaucoup de choses : jaune, fauve, sauvage, étranger, paysan, lourd, voilà sans doute sa généalogie. Lourd n’est pas plus lourd que fauve n’est cruel : songeons à mauve et à velours ! Si l’anglais thin contient l’idée de mince, comment se fait-il que l’idée d’épais se dise par thick ? Les mots sont des sons nuls que l’esprit charge du sens qu’il lui plaît : il y a des rencontres, il y a